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Les négociations sur les ressources phytogénétiques pourront-elles se débloquer?

juillet 17, 2023

Une partie d’échecs qui piétine depuis dix ans. C’est ainsi que se présente la négociation du groupe de travail créé au sein du Traité sur les ressources phytogénétiques (ITPGRFA) pour renforcer le Système multilatéral d’accès et de partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques. Nous l’avons suivie du 12 au 14 juillet, en soutenant la participation du Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire, représenté par Guy Kastler de Via Campesina. Mis en place depuis 2013, ce groupe de travail délégués des parties contractantes venant de différentes régions du monde a une mission : trouver les moyens de faire respecter les principes du Traité sur l’accès aux semences et aux ressources phytogénétiques en général. Les engagements sont aussi clairs qu’inaboutis: l’un concerne la facilitation de l’accès, l’autre le respect des droits des agriculteurs qui ont fourni la très grande majorité des ressources phytogénétiques et le partage équitable des bénéfices tirés de l’utilisation de ces ressources prélevées dans l’espace commun (le Système multilatéral – MLS). https://youtu.be/Tmw4mAlZeq0

L’abus du “panier commun”

Concrètement, cet espace est le réseau de banques de germoplasme situées dans différents pays contractants, dans lesquelles sont déposées les semences sélectionnées et conservées au fil des siècles ou des millénaires par les agriculteurs. La majeure partie de l’agrobiodiversité mondiale se trouve dans les pays du Sud, qui, en la mettant à disposition, s’attendent – selon la lettre du Traité – à ce que ceux qui l’utilisent pour sélectionner et commercialiser de nouvelles variétés de plantes leur versent une part des bénéfices qu’ils en tirent. Il s’agit en fait d’un partage des avantages. La part fixée par le Traité va de 0,77% des ventes nettes pendant 20 ans du produit contenant la ressource génétique prélevée dans le système multilatéral à 0,5% des ventes pendant 10 ans de tous les produits dérivés de la ressource phytogénétique. Dans ce dernier cas, la redevance étant plus élevée, le bénéficiaire a en contrepartie un accès facilité à toutes les ressources phytogénétiques de la même espèce que la variété dont il a prélevé un seul échantillon de graines. En fait, au lieu de signer un contrat chaque fois qu’il a besoin d’une seule ressource, il n’a besoin que d’un seul accord pour accéder à toutes celles de la même espèce. Ce système lourd n’est d’ailleurs contraignant que pour ceux qui fabriquent des produits brevetés comme les OGM. En revanche, celui qui autorise l’accès à ses nouvelles variétés pour des activités de recherche, de sélection ou de conservation n’est pas tenu de payer. Concrètement, l’obligation de paiement concerne les bénéfices tirés de la vente uniquement de semences brevetées et non de celles qui sont libres de droit ou couvertes par un droit d’obtention végétale (ou par le nouveau brevet unitaire européen) qui prévoit une “exception du sélectionneur” mais ne respecte pas le droit des agriculteurs d’utiliser librement les semences issues de leurs propres récoltes. Depuis l’entrée en vigueur du Traité en juin 2004, les entreprises ont puisé abondamment, n’ont rien payé et refusent de le faire. Elles peuvent se permettre de le faire parce que personne ne surveille le matériel génétique volé dans l’espace commun et incorporé dans leurs produits brevetés. Les brevets étant délivrés sans aucune obligation d’indication de l’origine des ressources utilisées, elles peuvent très facilement échapper à leurs obligations. Dans ce vol légalisé, on trouve des gouvernements qui s’opposent à tout renforcement de l’efficacité du Traité, comme les États-Unis, le Canada, l’Union européenne et le Japon, entre autres. Un Nord global où les plus grandes multinationales sont basées, influence les politiques et exploite les lacunes législatives.

La DSI, une menace pour la biodiversité mondiale

Si le processus de mise en œuvre reste bloqué, tant mieux pour eux. Mais pour ceux qui se sont battus pour obtenir des règles contraignantes afin de mettre un terme à ce piratage, c’est scandaleux. D’autant plus qu’une menace supplémentaire est apparue il y a une dizaine d’années. Grâce aux plaintes de l’IPC, le séquençage et la numérisation ultérieure des ressources phytogénétiques contenues dans le système multilatéral sont devenus un problème. En effet, les chercheurs obtiennent des informations numériques sur les séquences (DSI) et les téléchargent dans des bases de données publiques (souvent à source ouverte) et privées (souvent non librement accessibles). Grâce à des procédés de biologie synthétique et de bio-informatique, il est possible de reproduire ces séquences sans disposer du matériel physique: il suffit de disposer des données. Ainsi, derrière la rhétorique de la libre connaissance, il y a un double risque: tout d’abord, que ces informations soient reconstituées en matière grâce à la biologie de synthèse, puis brevetées comme « inventions »; en conséquence , que plus personne n’accède au Système multilatéral après l’avoir asséché en numérisant et en brevetant ses informations. Attention, ce n’est pas comme si certains d’entre nous téléchargeaient une chanson sur Internet pour en faire leur propre compilation. C’est comme si un auteur célèbre téléchargeait cette chanson, la mettait sur son nouvel album et la vendait à une distribution mondiale avec un droit d’auteur interdisant à toute autre personne de la commercialiser. Il serait difficile de faire cela avec la chanson Let It Be des Beatles, parce qu’elle est trop célèbre. Mais ce n’est pas le cas pour des millions d’autres airs et chansons. La quasi totalité des séquences génétiques contenues dans plus de deux millions d’échantillons de semences du Système multilatéral du Traité étant désormais en accès libre sur internet, les entreprises peuvent enfin boucler la boucle : breveter comme invention le matériel génétique développé par les agriculteurs, ce que leur interdit tout accès aux semences physiques conservées par le Système multilatéral du Traité. Et pas seulement celui mis à la disposition du monde par les pays signataires du Traité et les propriétaires des banques de gènes, mais aussi celui présent dans les champs, qui n’a pas été collecté pour être versé dans le système multilatéral, mais qui est le plus précieux car il contient tous les caractères sélectionnés par les paysans pour adapter leurs semences aux évolutions climatiques, environnementales, sociales et des techniques culturales. La biodiversité cultivée évolue en effet en fonction de l’environnement et des connaissances des agriculteurs. Par conséquent, si les DSI ne sont pas réglementées, l’appropriation ultime de la biodiversité paysanne au profit de quelques grandes sociétés transnationales sera dégagée en violation tout autant des droits des agriculteurs que des obligations de partage des avantages. C’est ce que nous appelons la légalisation de la biopiraterie.

Matière et information

Comme on pouvait s’y attendre, cette question est devenue centrale dans le débat de haut niveau sur le Traité sur les ressources phytogénétiques. Et ces jours-ci, elle a également été l’éléphant proverbial dans la pièce. L’industrie considère les DSI comme des données produites par la recherche et non comme des ressources génétiques contenant des informations génétiques soumises aux obligations prévues par le Traité de partage des avantages et d’interdire toute revendication de droit de propriété intellectuelle limitant l’accès pour la recherche, la sélection et la conservation à ces ressources, leur parties ou leurs composantes génétiques. Les gouvernements d’Amérique du Nord, d’Europe, l’Australie et de certaines régions d’Asie  (Japon, Corée du Sud) soutiennent l’industrie. L’Afrique et l’Amérique latine et de nombreux pays d’Asie, en revanche, luttent pour inclure les DSI dans les obligations du Traité. Tant que ce point ne sera pas résolu, les entreprises pourront accéder aux données génétiques qui les intéressent dans une base de données ouverte, les associer à un caractère particulier d’une plante (sa “fonction”) disponible dans de nombreuses pubications académiques afin de breveter cette “l’information génétique” associée à une de ses “fonctions”. Ce tour de passe-passe caché derrière un langage juridique tordu leur permet d’interdire l’utilisation de toutes les semences qui contiennent des informations génétiques brevetées par les agriculteurs qui ont sélectionné, stocké et fourni au système multilatéral les semences qui ont rendu ces informations identifiables et numérisables. Avec toutes sortes de tactiques diplomatiques, les délégués du Nord ont tenté de faire capoter ces trois jours de négociations. Nous avons vu des heures perdues sur des arguties qui ne servent qu’à faire passer le temps et à irriter les interlocuteurs. Nous avons vu des demandes d’élargissement de la réserve de ressources phytogénétiques disponibles dans le système multilatéral sans d’abord se mettre d’accord sur un mécanisme de paiement et de respect des droits des agriculteur qui fonctionne réellement. On a assisté à la négation de la nature de la DSI en tant que ressource génétique, les plus avisés – comme l’Europe – arguant qu’il fallait d’abord parvenir à une définition partagée, sachant pertinemment que cela rallongerait encore le processus.Ils ont malgré tout été obligés de prendre en compte la décision de l’Organe directeur du Traité qui, en 2019, avait renvoyé le débat sur les DSI à la Convention sur la biodiversité. La récente conférence des parties de la CDB (COP 15) a répondu que les DSI devaient faire l’objet d’un partage des avantages. Les pays “du Nord” n’ont en conséquence pas pu s’opposer à ce que le rapport final de la réunion souligne que les DSI constituent l’un des “points chauds” de la négociation comme le rappelle le CIP depuis 10 ans lors de chaque réunion de ce groupe de travail et de l’Organe directeur. Ils ont par contre réussi à ce que le risque de confication des semences paysannes et traditionnelles par les brevets portant sur ces DSI ne soit pas évoqué dans ce rapport, alors même que ce problème a été souligné au cours de la réunion par plisieurs parties contractantes suite aux interventions du CIP.

Le sort du Traité

Nous avons enfin réussi à faire prendre en compte les problèmes liés aux DSI, Ces trois jours de négociation laissent cependant le sentiment amer que la reconnaissance des droits des agriculteurs qui implique par l’interdiction de revendiquer des brevets portant sur les DSI qu’elles contiennent exigera une forte mobilisation. Mais nous savons que nous avons raison, notamment parce que le Traité est clair lorsqu’il parle des ressources phytogénétiques « et des informations associées », même s’il a été rédigé avant l’invention de la DSI. Si les États respectaient leurs engagements, cela empêcherait le brevetage des caractères indigènes développés par les agriculteurs. En outre, cela remettrait en question les éventuels droits de propriété intellectuelle bloquant toute utilisation des ressources phytogénétiques qui ont été prélevées dans le système multilatéral. Afin de supprimer le caractère « innovant » indispensable à l’obtention d’un brevet, il suffit que la signature de l’accord d’accès à la ressource précède la demande de brevet sur les informations génétiques contenues dans cette ressource. Mais l’accès libre aux données de séquences numériques sur internet et aux publications scientifiques qui recencent les connaissances des paysans sur les caractères de chaque semence pouvant contenir ces séquences permet actuellement de contourner cette obligation. Le problème est que si personne ne fait rien pour prendre les dispositions opérationnelles permettant de résoudre ces contournement des droits des agriculteurs tout autant que du partage des avantages, le Traité risque de s’effondrer sur son inefficacité. Ce système de dialogue mondial pour la régulation des ressources phytogénétiques, laborieusement construit pour endiguer la libéralisation débridée proposée par l’Organisation mondiale du commerce, deux décennies après son apogée, est au plus bas. Le groupe chargé de concrétiser les engagements travaillera jusqu’à la fin de l’année 2024. Pendant ce temps, les firmes semencières continuent à revendiquer de multiples brevets portant sur des DSI. Il reste donc peu de temps pour sauver le Traité.