avril 8, 2025
Depuis 2013 deux groupes de travail du Traité international des semences (TIRPAA) chargé d’améliorer le fonctionnement de son mécanisme multilatéral (SML) d’accès facilité aux ressources phytogénétiques (RPGAA) et de partage des avantages de leur utilisation se sont successivement réunis 23 fois. La dernière réunion s’est achevées à Rome vendredi 4 avril en se heurtant toujours aux mêmes blocages : le refus de l’industrie biotech des pays du « Nord global » de rémunérer la mise au point et la conservation des semences mondiales qui constituent sa seule matière première par les paysans et Peuples Autochtones et son refus de renoncer à leur confiscation pas ses brevets.
Depuis 2005, l’accès aux RPGAA conservées dans les collections nationales et internationales des 153 pays qui ont ratifié le Traité fonctionne sans encombre, mais le mécanisme de partage des avantages issus de leur utilisation est toujours contourné par l’industrie semencière qui profite de l’absence de traçabilité de l’origine des RPGAA utilisées pour la mise au point de ses nouvelles semences commerciales. Le paiement d’une redevance au Fonds de partage des avantages n’est exigé que suite à la commercialisation d’un produit incorporant une ressource phytogénétique prélevée dans le Système multilatéral. La commercialisation peut avoir lieu après des années, après que la ressource génétique ait changé de mains plusieurs fois et après plusieurs croisements incorporant des ressources phytogénétiques d’origines multiples. L’industrie prétend que cela rend la traçabilité impossible et le Traité ne dispose d’aucun moyen de police pour le vérifier. Seuls les États pourraient le faire, mais ne le font pas. Par ailleurs et bien que les USA aient rejoint le Traité en 2017, l’accès aux immenses collections étasuniennes est toujours libre pour les citoyens et entreprises étasuniennes sans signature du moindre engagement de partage des avantages. Seuls quelques dons volontaires d’une poignée de pays, fondations et de rares semenciers maintiennent un semblant de partage des avantages d’un montant bien inférieur à ce qui est dû, au détriment des pays en développement et des paysans qui ont fourni plus de 90 % des RPGAA du SML. Le groupe de travail propose en conséquence un nouveau mécanisme consistant en un paiement proportionnel au chiffre d’affaire de vente des entreprises qui souscrivent un « abonnement » pour un accès illimité aux RPGAA du SML. Malheureusement, les pays riches n’acceptent ce nouveau mécanisme que si le Traité garde aussi le mécanisme actuel dit « d’accès unique » qui sera toujours aussi facilement contourné que depuis 2005, quel que soit le montant des paiements qui ne seront pas plus versés qu’actuellement. Entre le paiement facilement contrôlé de « l’abonnement » et le paiement incontrôlable de « l’accès unique », les actionnaires des entreprises semencières auront vite choisi, tout en versant quelques ridicules oboles symboliques pour s’acheter à bon compte une image publique positive.
À cela s’ajoute depuis une dizaine d’années un nouveau trouble fête : l’information de séquence génétique, DSI en anglais. Pour la majorité des pays, ces DSI ne sont que la représentation numérisée des composantes génétiques des RPGAA, non brevetables selon le texte du Traité dès lors que ces dernières proviennent du MLS. Pour les pays riches du « Nord global », il s’agirait au contraire de « produits de la recherche » mis en accès libre depuis une dizaine d’années sur internet et brevetables dès lors qu’elles sont associées à un caractère d’intérêt économique. Les puissants moteurs de recherche électroniques des plus grandes multinationales croisent les immenses bases de données de DSI et les multiples publications sur les connaissances des paysans et des semenciers traditionnels portant sur les caractères d’intérêt des RPGAA afin d’identifier de telles associations, puis leurs généticiens décrivent un procédé brevetable susceptible de les intégrer dans de nouvelles semences commerciales. Les lois des propriété intellectuelle interdisent dès lors aux paysans et aux petits semenciers qui ont fourni leurs semences et leurs connaissances au SML de continuer à les utiliser dès qu’elles contiennent une DSI ainsi brevetée. Cette nouvelle biopiraterie numérique se développe malgré les lois internationales qui interdisent de breveter la simple découverte d’un produit de la nature.
La Convention sur la Diversité Biologique a récemment rajouté une nouvelle opportunité pour le développement de cette biopiraterie. Elle en effet décidé de s’approprier les compétences du Traité sur les RPGAA du MLS en mettant en place un mécanisme concurrent de partage de l’utilisation des DSI reposant sur le paiement d’un petit pourcentage du chiffre d’affaire de vente de toutes les entreprises semencières et des autres secteurs économiques susceptibles d’utiliser ces DSI. Malheureusement, ces paiement doivent rester facultatifs, ou « volontaires » en langage diplomatique. Dans quel monde a-t-on déjà vu des actionnaires accepter de verser volontairement un paiement important facultatif, au-delà peut-être de quelques dollars nécessaire à l’achat à bon compte d’une image positive ?
La biopiraterie dématérialisée va-t-elle ainsi remplacer la piraterie de la canonnière des siècles passés ? Ou bien les pays largement majoritaires du Sud global pourront-ils renverser la table pour rétablir un partage honnête et sans verrou juridique ou technologiques de l’utilisation des semences et des autres ressources biologiques naturelles ?
Il ne reste plus qu’une réunion du Groupe de Travail du Traité sur les Ressources Phytogénétiques pour trouver une solution avant le prochain Organe Directeur (GB). Compte tenu de l’éloignement des positions sur le terrain aujourd’hui, il ne sera pas facile d’amener une décision de compromis au prochain GB, à moins que les pays du Sud ne s’inclinent devant le pouvoir écrasant d’une poignée de multinationales. C’est pourquoi nous, le CIP, serons présents et continuerons à faire entendre notre voix, prêts à nous mobiliser dans le monde entier pour défendre les droits des agriculteurs sur les semences.